Nous analysons de plus près les caractéristiques des baux à long terme au regard des exigences des assureurs en matière de gestion d’actifs.
De plus en plus d’assureurs tiennent compte des placements immobiliers à long terme dans leurs comptes généraux. Pourtant, nous avons recueilli des avis très contrastés sur le rôle que cette stratégie devrait jouer dans l’allocation d’actifs d’un assureur.
Dans cet article, nous donnons notre avis sur cette question. Il s’agit notamment d’explorer les caractéristiques de la classe d’actifs dans le contexte des objectifs d’allocation d’actifs des assureurs et d’évaluer son éfficacité en fonction de la Directive Solvabilité II.
Considérations des assureurs en termes d’allocation d’actifs
Pour les assureurs, le processus d’allocation d’actifs commence souvent par la gestion actif-passif (GAP). La majeure partie des actifs du compte général d’un assureur résulte de la nécessité de couvrir de futurs sinistres. Bien entendu, la GAP doit être un critère déterminant au moment de déterminer dans quels actifs investir.
Cela signifie que les assureurs s'attachent à sélectionner des actifs qui permettent de compenser les paiements estimés du passif (ou des sinistres). Il existe donc une préférence naturelle pour les actifs à maturité longue, qui offrent une pérénité et une régularité des rendements. Il existe également une préférence pour les actifs exposés aux taux d’intérêt.
L'immobilier de long terme peut être plus attrayant que l’on pourrait le croire à première vue.
Les décisions en matière d’allocation d’actifs ne sont toutefois pas purement liées à la gestion actif-passif, d’autres facteurs jouent un rôle dans l’élaboration du compte général d’un assureur. Les assureurs ont pour objectif de dégager un bénéfice pour leurs actionnaires (parallèlement à un certain nombre d’objectifs). Si le revenu de souscription peut être considéré comme la principale source de bénéfices, le retour sur investissement est un autre facteur clé.
Au sein du portefeuille d'investissement, les assureurs évaluent les risques à prendre qui ne sont pas présents dans le passif, comme le risque de crédit, le risque d’illiquidité, le risque immobilier et le risque lié aux actions. L’appétit pour le risque de l’entreprise et les exigences en matière de capital de solvabilité contribuent à ce processus.
D’autres considérations opérationnelles qui sont propres à chaque assureur joueront un rôle dans le processus de l’allocation d’actifs. Un exemple est le niveau de ressources disponibles pour évaluer et contrôler les investissements. Toutefois, les décisions d’allocation d’actifs reposent généralement sur l’évaluation du degré d’importance de trois facteurs : la GAP, la performance et les exigences en matière de solvabilité.
L’allocation des assureurs aux placements immobiliers traditionnels se fait généralement lorsqu’une plus grande importance est accordé à la performance. Les placements immobiliers traditionnels ne sont pas connus pour leurs caractéristiques en matière de GAP ou d’efficacité en matière de solvabilité. Les placements immobiliers axés sur les baux à long terme sont toutefois très différents des stratégies immobilières traditionnelles et beaucoup plus proches des classes d’actifs GAP préférées des assureurs, comme les obligations d’entreprises et la dette privée.
De plus, le spread par rapport aux taux sans risque des placements immobiliers à long terme peut sembler intéressant par rapport à ces classes d’actifs, ce qui signifie que la solvabilité de ces placements pourrait être plus avantageuse que l’on pourrait le croire à première vue.
Nous allons étudier plus en détail ces aspects dans la suite de cet article, en commençant par les caractéristiques de l'immobilier locatif de long terme.
Les caractéristiques de l'immobilier locatif à baux longs
Les actifs réels sont souvent la solution choisie pour répondre aux exigences de revenu à long terme. En raison des taux d’intérêt bas, nous avons assisté à une augmentation de l’allocation d’actifs réels dans les portefeuilles institutionnels. Le risque économique plus élevé, entraîné par la pandémie de Covid-19, renforce le recours à des stratégies d’investissement moins risquées et à des flux de trésorerie durables issus de certains types de placements immobiliers.
Les placements immobiliers génèrent un revenu contractuel comparable à celui des obligations et offrent un potentiel de croissance comparable à celui des actions. Tous les actifs immobiliers ne fonctionnent pas de la même manière, et les différents types d’actifs immobiliers présentent des degrés variables d’exposition à ces deux caractéristiques de performance. Certains sont plus exposés à la croissance ou "growth", souvent en raison de baux plus courts et de facteurs de demande et d’offre plus variables. D’autres se rapprochent davantage des obligations, en mettant l’accent sur les caractéristiques de revenu sécurisé qui génèrent généralement des rendements plus stables.
En effet, la performance différenciée des stratégies de baux à long terme par rapport aux fonds traditionnels « équilibrés » traditionnels est évidente. Selon une série de données importantes provenant de l’indice AREF UK MSCI Property Fund de décembre 2005 à décembre 2020, les fonds de la catégorie des baux à long terme ont enregistré un rendement moyen de 7,2 % par an, pour un écart-type de 6,2 %. Ce chiffre est à comparer au rendement de l’indice intégral de 6,9 % par an et à un écart-type de 10,1 % sur la même période.
Bien que les performances passées ne soient pas un indicateur des résultats futurs, les fonds de location longue durée ont surperformé l’immobilier standard en termes absolus, mais surtout avec une volatilité beaucoup plus faible. En général, les actifs immobiliers à baux longs ont une durée de bail sensiblement plus longue que la norme du marché. La durée moyenne des baux sur le marché est d’environ 5 à 7 ans selon les pays, mais les baux de 12 à 15 ans sont courants en Europe. Certains actifs offrent des contrats de location considérablement plus longs, à savoir 25 ans et plus. Ces baux plus longs sont souvent répandus dans des secteurs autres que les secteurs traditionnels des bureaux, de la vente au détail et de l’industrie.
Ce facteur est important car si les possibilités de location ou de modification des flux de trésorerie sont moins nombreuses, les experts immobiliers auront moins de raisons d’ajuster les évaluations en fonction du risque de rendements. Par conséquent, les actifs de long terme réagissent en général différemment des actifs présentant un risque de rendements plus élevé à court terme, ce qui fait des baux longs un type d’investissement plus défensif ; c’est pour cela qu’on les compare souvent aux obligations ou au crédit en termes de rôle dans un portefeuille. Une autre caractéristique importante des baux longs est leur indexation sur l’inflation, que l’on ne retrouve pas dans la plupart des autres investissements à revenu fixe. Les actifs immobiliers à bail long se présentent principalement sous la forme de baux classiques conclus avec des locataires, mais ils peuvent également inclure des extractions de revenu et des loyers fonciers. Ces deux derniers types d’actifs présentent des profils de risque et de performance différents, mais ils constituent souvent une option pour les fonds de location longue durée, car ils ont le même objectif global, à savoir fournir des flux de trésorerie prévisibles à long terme liés à l’inflation.
L’investissement dans des actifs de location longue durée pour capter des flux de trésorerie de plus faible volatilité et de plus longue durée suppose une gestion moins active des actifs que les fonds traditionnels. Ils exigent néanmoins une certaine implication dans des domaines clés, la prise ferme des risques liés aux locataires étant essentielle et nécessitant un processus solide.
Cela peut aller au-delà de la simple vérification des évaluations de crédit des agences de notation tierces. Une prise ferme plus approfondie des locataires fait souvent appel à l’expertise d’autres classes d’actifs, comme les actions et les obligations, les investisseurs interrogeant les références commerciales sous-jacentes selon une méthode plus scientifique et prospective que celle employée habituellement par les investisseurs immobiliers. Le renouvellement des actifs dans le portefeuille en fonction de l’évolution des engagements des locataires, de la diminution de leurs baux ou de la renégociation des baux lorsqu’ils sont raccourcis sont d’autres domaines importants de la gestion d’actifs.
Enfin, nous pensons que la qualité des placements immobiliers sous-jacents est également d’une importance capitale et que tous les baux à long terme n’ont pas la même durabilité que les autres. En cas de manquement d’un locataire, il est important que l’attrait, l’emplacement et la fonctionnalité d’un immeuble lui assurent une seconde vie. Ce facteur est important pour attirer de nouveaux locataires selon des modalités de bail similaires et renforce la durabilité à long terme des revenus de ce type de biens immobiliers.
La capital de solvabilité requis
Le module de risque de marché de la formule standard dans le régime Solvabilité II prévoit une charge de capital de 25 % sur les investissements immobiliers.
Des recherches intéressantes menées par IPD/MSCI ont montré que cette charge était élevée. L’ensemble de données utilisé pour formuler la charge initiale de 25 % du capital de solvabilité requis (ou SCR pour Solvency Capital Requirements) n’utilisait que les données du marché britannique, qui a historiquement été plus volatil que les marchés européens. La recherche a justifié un SCR de 15 % sur la base d’un ensemble de données européennes (y compris le Royaume-Uni) jusqu’en 2015. La charge du SCR selon la formule standard reste de 25 %. L’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles a conseillé de ne pas modifier l’étalonnage dans le cadre de la révision de Solvabilité II en 2020.
En outre, un large éventail de stratégies immobilières peut être mis en œuvre et nous avons démontré que les stratégies immobilières de location longue durée ont présenté une volatilité plus faible que les stratégies immobilières traditionnelles. Ceci n’est pas pris en compte dans les calculs du SCR.
Dans ce contexte, les placements immobiliers à long terme sont confrontés à un obstacle relativement important pour démontrer l’efficacité de leur capital.
Deux exemples permettent d’approfondir cette question.
Les performances passées ne préjugent pas des résultats futurs.
Source : abrdn à la fin septembre 2021
Les données révèlent le spread (par rapport aux obligations d’État) et le comparent à l’exigence de capital de la classe d’actifs. L’exigence de capital pour les obligations d’entreprises dépend de la qualité de crédit et de la durée, et est évaluée dans le cadre du module de risque de spread. L’exigence de capital pour les placements immobiliers est de 25 % ajustée pour l’effet de levier. Nous avons supposé un ratio prêt-valeur de 25 %, et l’exigence de capital équivaut ainsi à 33,3 %.
Les placements immobiliers européens à long terme généraient environ 350 points de base (pb) au-dessus des obligations d’État au deuxième trimestre de 2021. Malgré une exigence de SCR plus élevée, cela représente une utilisation extrêmement efficace du capital par rapport aux obligations d’entreprises européennes.
Compte tenu du nombre de variables, nous n’avons pas inclus dans cette analyse une comparaison avec les classes d’actifs de la dette privée. De toute évidence, les assureurs ont utilisé cette classe d’actifs pour générer des revenus, car ils profitent de leur capacité à s’accommoder de l’illiquidité (sans nécessairement devoir modifier leur profil de risque global en matière de crédit et de taux d’intérêt) et gagnent une prime d’illiquidité. Si l’on part du principe que la dette privée présente le même profil de crédit et de durée que les entreprises européennes (10 ans et plus), l’écart supplémentaire (prime d’illiquidité) devrait être d’environ 120 points de base pour avoir la même rentabilité de capitaux que les placements immobiliers à long terme.
Cette analyse ne tient compte que du spread disponible. Le rendement total de chaque classe d’actifs aurait une incidence sur la performance globale du point de vue de l’efficacité de la solvabilité.
- Une stratégie d’achat et de conservation du crédit devrait permettre d’obtenir le rendement à échéance moins les pertes de crédit attendues. Comme le taux de référence sans risque est actuellement négatif, le rendement à échéance moins les pertes de crédit attendues représenterait un nombre inférieur au spread. Ainsi, les résultats de l’efficacité de la solvabilité pour le crédit seraient légèrement inférieurs à ceux de l’analyse ci-dessus.
- Le rendement total des placements immobiliers à long terme comprendrait à la fois les mouvements de revenu et de valeur du capital, qui pourraient être positifs ou négatifs.
Les performances passées ne préjugent pas des résultats futurs.
Les exigences globales en matière de SCR liées au risque de marché dépendent d’un certain nombre de facteurs de risque, dont les hypothèses suivantes ont été utilisées pour faciliter notre évaluation.
Valeur du portefeuille d’actifs = 1 000 millions de livres sterling
Valeur du passif = 900 millions de livres Sterling
Durée du passif = 9 ans
Le portefeuille serait sensible à un facteur lié à une « hausse du risque de taux d’intérêt » pour lequel nous avons supposé une augmentation de 1 % des taux. La matrice de corrélation correspondante du « risque de taux d’intérêt » de Solvabilité II a été appliquée au calcul de l’avantage de diversification. Nous avons supposé que les exigences en matière de change et de risque de concentration ne sont pas applicables. Nous avons également supposé les mêmes exigences de SCR pour les obligations d’entreprises et les placements immobiliers que celles utilisées dans l’exemple 1 ci-dessus.
Les exigences de SCR concernées sont présentées ci-dessous.
Les performances passées ne préjugent pas des résultats futurs.
Si l’on considère l’exigence globale de capital pour le risque de marché, on constate que l’avantage résultant de la baisse du risque de taux d’intérêt et de spread est légèrement supérieur à l’augmentation résultant de l’allocation aux placements immobiliers à long terme. En outre, l’ajout d’une autre classe d’actifs au portefeuille présente un avantage en termes de diversification.
Dans cet exemple, nous avons démontré qu’une allocation dans l’immobilier a effectivement réduit les exigences globales de capital liées au risque de marché, bien que l’immobilier ait une exigence de SCR plus élevée en tant que seule classe d’actifs.
Notre exemple repose sur un certain nombre d’hypothèses qui varieront d’un assureur à l’autre. Plus précisément, si une baisse des taux d’intérêt devait être le facteur déterminant dans le calcul du SCR d’un assureur, la réduction des actifs sensibles aux taux d’intérêt (ici, les obligations d’entreprises) aurait pour effet d’augmenter les exigences de capital liées au risque de taux d’intérêt plutôt que de la réduire. Cet exemple souligne l’importance de regarder au-delà des exigences de SCR lorsqu’il s’agit d’évaluer l’efficacité de l’ajout de placements immobiliers à long terme à un portefeuille.
Conclusion
Dans cet article, nous avons tenté de mieux comprendre les caractéristiques de type obligataire des placements immobiliers à long terme, tout en démontrant l’impact potentiel d’une allocation sur le portefeuille d’un assureur.
Pour tout assureur qui cherche à générer un rendement supplémentaire, sans pour autant renoncer à la GAP ou à l’efficacité de la solvabilité de son portefeuille, nous pensons que les placements immobiliers à long terme sont à prendre en considération.
Les performances passées ne préjugent pas des résultats futurs.
Conclusion
Dans cet article, nous avons tenté de mieux comprendre les caractéristiques de type obligataire des placements immobiliers à long terme, tout en démontrant l’impact potentiel d’une allocation sur le portefeuille d’un assureur.
Pour tout assureur qui cherche à générer un rendement supplémentaire, sans pour autant renoncer à la GAP ou à l’efficacité de la solvabilité de son portefeuille, nous pensons que les placements immobiliers à long terme sont à prendre en considération.
Les performances passées ne préjugent pas des résultats futurs.