Rapide état des lieux
Plongeons-nous dans le passé afin de tenter d’expliquer comment la Zambie en est arrivée là. Nous étions parmi les premiers investisseurs lors du lancement des premières euro-obligations en 2012. Les titres affichaient l’un des taux les plus bas jamais observés pour un gouvernement d’un pays émergent primo-émetteur. À l’époque, nous pensions que les perspectives de croissance étaient encourageantes, que la situation budgétaire était saine et que le ratio dette/PIB, l’une des variables clés pour les investisseurs sans expérience dans le pays, était extrêmement faible, aux alentours de 30 %. Rien à signaler, selon le vieil adage.
En 2014, la Zambie est revenue sur le marché des euro-obligations. Mais à cette époque, les signes de dégradation des finances publiques et de la situation budgétaire se multipliaient. Un an plus tard, le pays revenait sur le marché et, alors que la prime de risque avait augmenté, le Fonds monétaire international (FMI) considérait toujours la charge de la dette comme soutenable. Cinq ans plus tard, la Zambie s’est heurtée au mur de la dette. Le gouvernement de l’époque a fait défaut sur ses euro-obligations en novembre 2020, mettant en cause la pandémie de Covid-19. La réalité était que le pays se dirigeait tout droit vers la cessation de paiements du fait de l’absence de volonté de s’attaquer au problème de la soutenabilité de la dette. De nombreux investisseurs étaient de plus en plus préoccupés par les emprunts contractés par la Zambie au cours des années qui ont suivi sa dernière incursion sur le marché des euro-obligations en 2015. Il s’agissait d’une lente fuite en avant.
À ce stade, la Zambie avait émis près de 3 milliards de dollars d’euro-obligations. Une fois le stock épuisé, le gouvernement a décidé de se tourner vers les prêteurs chinois qui étaient plus que ravis de colmater la brèche. Les conditions des prêts étaient opaques et l’utilisation des fonds n’était pas plus transparente, un arrangement qui faisait visiblement les affaires des deux parties.
Tandis que le ministère des Finances prétendait que le montant des emprunts contractés auprès des Chinois était similaire à celui des euro-obligations, plusieurs médias ont toutefois révélé que le montant réel était autrement plus important. Les efforts déployés par les détenteurs des obligations pour obtenir des informations sur les prêts chinois se sont avérés vains, aggravant les craintes quant à la soutenabilité de la dette. Entretemps, les responsables politiques zambiens ont prétendu à de nombreuses reprises être sur le point d’obtenir un accord du FMI sur la dette. Ils espéraient que cela serait de nature à apaiser les craintes qui entouraient la soutenabilité de la dette du pays. Hélas, l’accord tant attendu du FMI n’est jamais arrivé. Le défaut était une conséquence inévitable.
La Zambie signe un retour en force
Comme nous le faisions remarquer au début, il est rare que les prix des obligations s’envolent lorsqu’un pays est toujours en situation de défaut et doit encore mener des négociations décisives avec ses créanciers autour de la restructuration de sa dette. Il arrive en revanche plus souvent que les prix des obligations s’effondrent lorsqu’un pays fait défaut. Cela s’explique par le fait que les investisseurs se retrouvent contraints de liquider leurs positions en raison des restrictions imposées sur les investissements dans des titres en défaut ou si une obligation dépasse un seuil de notation, généralement la catégorie B. Il existe également une incertitude autour du processus de restructuration qui peut provoquer un effondrement des prix des obligations, lequel est ensuite suivi d’un rebond sous l’effet de fonds qui ciblent les pays en difficulté, également appelés fonds vautours dans certains milieux.
Cela explique en partie comment les prix des euro-obligations zambiennes sont passés d’environ 42 centimes à 70 en 2021. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le résultat inattendu de l’élection générale d’août 2021 a, selon nous, également dopé les cours des obligations.
Après avoir perdu les cinq fois précédentes, y compris les deux précédentes élections de très peu, personne n’a osé affirmer que la sixième serait la bonne.
Et pourtant quelle fut la surprise ! Après avoir perdu les cinq fois précédentes, y compris les deux précédentes élections de justesse, personne n’a osé affirmer que la sixième serait la bonne. La plupart se résignaient à voir gagner le candidat Edgar Lungu du Front Patriotique pour la troisième fois, ce qui aurait constitué une violation de la limite du nombre de mandats inscrite dans la constitution. Tel est le pouvoir du président en exercice, notamment pendant une pandémie. Néanmoins, « HH » est parvenu à l’emporter en s’adjugeant 59 % des suffrages. Ce qui, compte tenu des fraudes, représente une victoire écrasante et a permis une passation de pouvoir sans heurts.
Avant le vote, le rendement des obligations libellées dans la monnaie locale était supérieur à 35 %, avant de chuter lourdement après l’élection et de retomber sous les 20 % en décembre 2021, après que la Zambie a trouvé un accord avec le FMI sur un nouveau prêt. Le kwacha zambien s’est également apprécié d’environ 25 % par rapport au dollar américain au cours de la période. Le marché a été ensuite gagné par un sentiment d’euphorie.
On comprend aisément pourquoi. Après nous être entretenus avec « HH », nous étions également l’un des rares investisseurs à le rencontrer à Londres en novembre dernier à l’occasion de sa venue à Glasgow pour assister à la Cop26. Il a tenu des propos extrêmement puissants. Il a fait part de son intention de rétablir l’État de droit, d’améliorer le climat pour les investisseurs et de lutter contre la corruption endémique qui a caractérisé le précédent gouvernement. Des messages qui ont été accueillis favorablement par la communauté des investisseurs. Il nous a également avoué avoir été placé en détention à 15 reprises. Force est de constater la persévérance dont il a su faire preuve, outre ses autres qualités de dirigeant.
En conclusion...
Rares sont les pays dits frontières ou les pays émergents en général qui peuvent se targuer d’avoir amélioré leur solvabilité et leurs perspectives ESG, mais la Zambie en fait partie. Nous pensons que l’élection de « HH » a nettement amélioré la situation, tant pour la Zambie que pour les investisseurs internationaux dans le pays. C’est pourquoi nous considérons que sa victoire changera la donne.